Gabriel Loppé, ses œuvres
La peinture
L’œuvre peinte de Gabriel Loppé s’inscrit dans la tradition de la peinture de montagne, mais à l’époque où il débute sa carrière, il fait figure de novateur. En effet au XIXe siècle, la peinture de paysage est surtout le fait de l’École suisse, dont le support privilégié est la gravure, les albums de vues représentant les paysages de la Suisse et de la Savoie.
Les montagnes représentées sont souvent des vues de sommets ou des vues panoramiques prises depuis des belvédères de moyenne altitude.
Les grands noms de l’époque pour la peinture de paysage sont Jean-Antoine Linck, Pierre-Louis de la Rive pour la première moitié du XIXe siècle et les contemporains de Loppé sont à Genève le maître Diday et son élève Calame.
C’est la vision romantique de la montagne sublime que l’on représente, on n’est plus dans
les « monts affreux » tels qu’ils étaient perçus au début du siècle. La peinture, les gravures et la littérature ont participé à ce changement d’image de la montagne, ainsi que les premiers alpinistes.
Diday se situe dans la mouvance romantique de la représentation de ces sujets, Calame ose aller en haute montagne qui reste toujours la montagne sublime, féerique.
Loppé est un peintre de la haute montagne, il excelle dans la représentation des glaciers et de la neige. Il est l’un des premiers à peindre sur le motif, emmenant avec lui tout son matériel lors de ses courses en montagne. Il n’hésite pas à séjourner plusieurs jours en altitude afin d’étudier et de mieux en rendre la lumière et l’atmosphère à différents moments du jour.
L’oeuvre picturale de Gabriel Loppé s’inscrit dans la peinture réaliste. Il reste des journées entières sur les glaciers pour immortaliser, sur des pochades, les crevasses qui ne seront plus qu’un souvenir l’année suivante.
Alors que l’alpinisme d’hiver n’est pas encore à la mode, les vallées alpines enfouies sous la neige sont pour lui des lieux de prédilection. À cette période de l’année la nature a repris le dessus, le sentiment de solitude règne en maître, ce sont des moments privilégiés.
Grâce à ses études et pochades prises sur le vif, Loppé va produire une quantité impressionnante d’oeuvres : des toiles de différents formats, voire monumentales, représentant des ascensions de glacier par de minuscules personnages, des crevasses béantes, des lacs glaciaires, des vallées sous la neige.
La photographie
C’est cependant plus tardivement que Loppé débute sa pratique de la photographie, médium qu’il connaît bien, car il est entouré depuis toujours d’amis, photographes amateurs et professionnels.
Dans les années 1880, il prend un grand plaisir à photographier ses petits-enfants, en s’inspirant nettement du mouvement pictorialiste anglais, notamment des photographies de Julia Margaret Cameron.
Il fixe aussi de magnifiques panoramas depuis les sommets ainsi que des paysages alpestres, sans oublier toutes les vues urbaines, Genève, Paris, Marseille, Londres et Liverpool, qu’il photographie plus particulièrement de nuit.
Depuis son balcon de l’avenue du Trocadéro à Paris, il immortalise la construction de la Tour Eiffel.
Le célèbre cliché de cette dernière foudroyée par trois éclairs un soir de juin 1902, avec un temps de pause de 22 minutes, lui vaut une reconnaissance dans le milieu des photographes de l’époque, une correspondance avec l’ingénieur Gustave Eiffel et l’admission à la Société Astronomique de France.
Loppé est également membre du Camera Club de Londres, comme de nombreux représentants du mouvement pictorialiste. Ce courant est né de la volonté de certains photographes amateurs d’élever la photographie comme Art.
En effet, l’évolution technique de la photographie avec l’apparition de nouveaux procédés plus simples et plus légers permettent à un plus grand nombre de pratiquer.
Certains amateurs issus de la bourgeoisie souhaitant lutter contre la standardisation des images, s’efforcent d’élaborer une esthétique propre à cet art en devenir. Leur idée est de privilégier la sensibilité du photographe-artiste et de proposer une autre image du réel.
Certaines de ses photographies, conservées au musée d’Orsay, montrent son importance dans l’histoire de cet art naissant et ont fait l‘objet d’une exposition.
La tour Eiffel
La tour Eiffel foudroyée
Au premier plan, les toits de « la manutention militaire », dépôt des vivres militaires. L’édifice fut détruit en 1936 pour laisser la place au Palais de Tokyo.
L’intérêt des photographes pour la tour Eiffel ne cesse pas avec la fin des travaux. Du balcon de l’appartement de Gabriel Loppé, avenue du Trocadéro (actuellement avenue du Président Wilson), le monument constitue un motif privilégié, qu’elle soit illuminée de guirlandes ou, comme ici, révélée par les éclairs d’un ciel d’orage.
Et le 15 juin 1905, Gabriel Loppé écrit à Gustave Eiffel :
« Je n’ai pas d’épreuves, pour le moment, du cliché de la tour foudroyée. Après avoir perdu beaucoup de négatifs par le peu de soins que mettaient les professionnels à qui je les remettais pour tirer des épreuves, j’ai pris le parti de faire moi-même toutes les opérations très fastidieuses pour avoir quelques cadeaux à faire à mes amis. Je vais donc préparer un peu de fixatif pour préparer les deux épreuves que vos correspondants vous prient de leur faire parvenir. Jusqu’à présent je n’en ai tiré qu’un très petit nombre que j’ai données à 5 ou 6 de mes amis et aussi à quelques personnes que je n’ai pas l’honneur de connaître mais pour qui j’ai la plus grande considération.
Pour vous, Monsieur, qui avez créé le monument le plus original, le plus moderne, le seul qui me donne la sensation de l’immensité, de la variété, de la finesse et de l’éclat du ciel parisien, de cette atmosphère que les fumées des fabriques n’ont pu salir et qui enveloppe le paysage parisien d’une harmonie et d’un charme si artistique ».