Gabriel Loppé, l’artiste
Alpiniste confirmé et reconnu, peintre paysagiste de la haute montagne et enfin photographe, Gabriel Loppé a représenté avec un langage dépouillé la nature grandiose des sommets, les glaciers torturés aux crevasses béantes, les couchers de soleil flamboyants saisis depuis le sommet du « grand monarque » -le mont Blanc-, les aiguilles acérées et autres panoramas spectaculaires…
Il apparaît aussi comme un des précurseurs de la représentation des paysages sous la neige avec Courbet et Monet.
Au fil de ses toiles, de ses dessins et de ses photographies, on suit l’itinéraire de l’artiste et aussi de l’homme qui voyage à travers l’espace et à travers le temps, guettant aussi et témoignant des innovations techniques dont il fut parmi les premiers spectateurs et utilisateurs (la photographie, les trains à vapeur, la fée électricité qui transforme les villes…)
Gabriel Loppé à Chamonix
Gabriel Loppé a été un ambassadeur pour la vallée de Chamonix grâce à ses œuvres qui constituaient autant de témoignages de son époque mais aussi grâce à son rôle au sein de l’Alpine Club de Londres.
Gabriel Loppé découvre pour la première fois Chamonix en 1849. Il y séjournera régulièrement jusqu’en 1912.
En 1849, Loppé a 24 ans, il séjourne à Fillinges, près de la Roche sur Foron et se rend à pied, avec sac et bâton, à Servoz où il passe la nuit et repart le lendemain pour Chamonix. Il pousse même sa course jusqu’à la Mer de Glace.
Lors de ce séjour à Fillinges il sympathise avec les enfants d’une famille annécienne, les Bachet. L’année suivante il revient à Annecy et les emmènent à Chamonix et à la Mer de Glace.
Il épouse Marguerite Bachet en 1851 et s’installe à Annecy pendant une dizaine d’années.
À partir de 1851, Loppé séjourne tous les étés à Chamonix.
En 1869, dans le bourg de Chamonix, il loue un terrain à la famille Cachat sur lequel il installe un petit chalet qui lui sert d’atelier. En 1870, il décide, malgré ses faibles moyens financiers, de construire un autre chalet où il ouvre une Galerie-Exposition qu’il nomme : “Peinture Alpestre Gabriel Loppé”.
De son vivant, il y exposera durant la période estivale une soixantaine de toiles, certaines de dimensions monumentales (4 m de hauteur x 3 m de large). Il engage une jeune fille de Chamonix, Joséphine, pour tenir la galerie qui deviendra le musée Loppé lorsque sa petite fille Gabrielle en héritera en 1925. Certains chamoniards se souviennent encore de cette vieille dame conservant amoureusement cet écrin contenant les toiles de son grand-père.
Après le décès de cette dernière en 1978, le musée est vendu et transformé en habitation.
Une association locale, les Amis du Vieux Chamonix, consciente de la valeur de l’œuvre réussit à acheter une quarantaine de toiles. Vous pouvez admirer certaines de ces acquisitions dans les salons du Majestic (ancien Palace situé au centre ville de Chamonix).
La majorité de ces toiles est stockée dans des réserves et attend un lieu d’exposition depuis l’incendie de 1999 qui enflamma le Musée Alpin de Chamonix, détruisit la salle de spectacle Michel Croz ainsi que la salle d’exposition Loppé, une aile du Musée Alpin qui n’a pas été reconstruite, ouvrant la perspective sur les bords d’Arve à côté du musée.
Gabriel Loppé et Chamonix
Chaque été, il est de retour à Chamonix et y séjourne régulièrement jusqu’en 1912.
De nombreuses attaches sentimentales le lient à Chamonix. Sa dernière fille, Marie y naît le 7 août 1865.
Le corps de sa première épouse décédée à Genève, le 12 janvier 1874, repose dans le cimetière de Chamonix. Il entretient de forts liens d’amitié avec les Chamoniards : la famille Tairraz, François Couttet dit « Baguette » à qui il donne le conseil d’agrandir sa maison pour louer des chambres, c’est ainsi que l’hôtel Couttet serait né.
Il a comme guide attitré Benoît Simond dit « Benoni ».
Lors de ses premiers séjours à Chamonix, les touristes sont principalement des Anglais de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, Gabriel Loppé se lie d’amitié avec certains d’entre eux notamment l’écrivain Leslie Stephen, le père de l’écrivaine Virginia Woolf, ou l’avocat puis juge à la Haute Cour de Justice d’Angleterre Alfred Wills, le cartographe Adams Reilly, le dessinateur graveur Edward Whymper, le géologue James Eccles dont il épousera la sœur Elizabeth, dite Bessie, en 1879.
Le peintre
Même s’il va à Zermatt peindre le Cervin (le Matterhorn), ce sont les glaces de la vallée de Chamonix qu’il choisit le plus souvent de représenter. Il est fasciné par le mont Blanc (la légende lui accorde une quarantaine d’ascensions).
Ce massif, lui offre, plus que tout autre ses paysages glaciaires. Chaque course est l’objet de dessins, pochades ou peintures sur le motif.
Il fera des « stations » de plusieurs jours à la cabane des Grands Mulets ou au Col du Géant pour dessiner et peindre. La puissance des variations météorologiques comme les atmosphères ainsi créées en montagne le surprennent et l’émeuvent.
Ces toiles représentant la haute montagne sont exposées pour la première fois en 1862 à l’Exposition Universelle de Londres. Les critiques de la presse anglaise sont élogieuses en particulier pour l’évocation de l’atmosphère extraordinaire du massif du Mont-Blanc.
L’alpiniste
Si Loppé a découvert l’univers des glaciers en Suisse au Grimsel, c’est à Chamonix qu’il part à la conquête des hauts sommets.
En 1853 il séjourne avec sa femme à l’hôtel de la Couronne et fait l’ascension des Grands Mulets dans la journée du 19 juillet, il est alors accompagné des guides Payot François Romain et Payot François Florentin.
La première cabane des Grands Mulets vient d’être construite en 1853, à 3050 mètres, sur des rochers, au dessus de la Jonction entre les glaciers des Bossons et de Taconnaz.
C’est une cabane en planches doublées par un mur de pierres sèches de 4,25m sur 2,12m.
En 1861, il fait sa première ascension du Mont Blanc le 23 juillet, ascension où il accompagne les Frères Bisson, alors photographes attitrés de l’Empereur Napoléon III.
De retour à la cabane des Grands Mulets qui deviendra au fil du temps presque sa deuxième maison, il y rencontre une autre cordée en route vers le mont Blanc et les accompagne, y retournant ainsi le 25 juillet, puis encore une fois le 13 août de ce même été 1861.
Un dessin daté du 24 juillet 1861 atteste de ce séjour à la cabane des Grands Mulets.
En 1871, il fait la première du mont Mallet avec Leslie Stephen et Frederich Wallroth.
En 1876, le 19 janvier, il tente la première ascension hivernale du mont Blanc avec James Eccles, mais le 30 janvier l’américaine Isabella Straton leur vole l’exploit qu’ils réussiront après coup le 3 mars.
Loppé compte quelques premières et est un alpiniste confirmé et reconnu même si lui même préférait vanter les talents et le courage de ses guides.
En 1864, l’Alpine Club de Londres lui fait l’honneur de l’admettre comme membre honoraire de ce club.
En 1865, il devient membre du Club Alpin Suisse, section genevoise et de Monta Rosa.
À partir de 1875, lors de la création du Club Alpin Français il s’inscrit à la section de Paris.
En 1865, Loppé rencontre le préfet de la Haute-Savoie pour lui exposer la nécessité de modifier le règlement des guides de Chamonix qui doit évoluer.
En 1870, lors du terrible accident du 15 septembre survenu au mont Blanc qui coûte la vie à 11 personnes, Loppé est chargé de prendre des renseignements sur les familles de Chamonix atteintes par le deuil et un « appel pour secours » est adressé au comité central du CAS. Très actif, il milite pour améliorer la condition des guides et correspond avec l’Alpine Club de Londres. Il n’hésite pas à partir au secours d’alpinistes en difficultés ou accidentés, et est souvent l’initiateur de souscriptions pour venir en aide aux familles touchées par ces drames.
Mais ses exploits alpins ne sont pas sa motivation principale, c’est plutôt sa peinture, car il ne part jamais sans sa palette et son pinceau, toujours prêt à saisir un lever ou coucher de soleil, un effet de nuage. Il attend parfois plusieurs heures, sans que le froid ne semble l’inquiéter, au grand dam des guides et porteurs qui l’accompagnent. Il part aussi pour plusieurs jours : une semaine au col du Géant, ou aux Grands Mulets et bivouaque sur la Montagne de la Côte, entre les glaciers des Bossons et de Taconnaz.
L’ambassadeur de Chamonix
Gabriel Loppé a ciblé sa clientèle, celles des alpinistes, et plus particulièrement la clientèle anglaise, mais des toiles sont aussi parties aux USA, en Autriche, en Allemagne et en Suisse.
Lorsqu’il commence à peindre la vallée de Chamonix et qu’il montre ses toiles à Londres, les alpinistes anglais jusqu’alors friands d’Écosse, sont ravis de découvrir Chamonix sous la neige. Il les incite à venir hiver comme été y faire des courses.
A l’époque, le massif du Mont Blanc n’est pas encore totalement cartographié. La photographie n’est pas assez développée pour renseigner les alpinistes avant leur départ et ses toiles, d’une précision géographique, sont reconnues comme leur permettant de découvrir le paysage avant d’entreprendre une ascension.
Pour nous visiteurs du XXIe siècle, ces toiles témoignent du paysage de la vallée, images d’autant plus précieuses qu’il ne cesse de se transformer.
Loppé par sa personne et par son oeuvre a fortement marqué le territoire de la vallée et a contribué à l’enrichissement du patrimoine chamoniard.